Beaucoup de collègues naturopathes me demandent s’il est « facile » d’articuler la naturopathie et l’ayurvéda, vu que parfois ces deux médecines traditionnelles peuvent sembler contradictoires. Ma réponse est souvent « oui, pour moi c’est facile ». Et je pourrais ajouter que la naturopathie m’est devenue beaucoup plus évidente grâce à mes connaissances en ayurvéda. Certes parfois l’ayurvéda conseille certains aliments ou plantes qui ne sont pas forcément recommandés en naturopathie, ou vice versa, mais là aussi l’ayurvéda nous donne des réponses subtiles sur l’adaptation de chaque aliment ou plante à chaque personne, à son contexte de vie actuel, aux saisons de l’année, etc.
Il m’est facile d’articuler la naturopathie et l’ayurvéda car l’ayurvéda résonne en moi, les principes de base sont une évidence et la vie est devenue beaucoup plus claire et facile depuis que j’ai emprunté son chemin… Si on respecte les principes de base en ayurvéda on comprendra mieux toutes les notions en naturopathie et allopathie et on pourra mieux les adapter à chacun… Il y a une grande dimension spirituelle en ayurvéda qui va appuyer toutes ses actions, et dans ma vision actuelle de la vie l’être humain est un être spirituel et il ne peut trouver son équilibre que si cette spiritualité est prise en compte…
Comment peut-on apprendre de nouvelles choses si elles sont différentes ou contraires à ce qu’on connait déjà?
Pour que ça devienne « facile » il m’a fallu entrer profondément dans le cœur de l’ayurvéda et pour cela j’ai dû laisser de côté, pendant un certain temps, toutes les connaissances que j’avais acquises auparavant en tant qu’infirmière et naturopathe… Nos croyances et convictions façonnent notre perception du monde. Lorsqu’on est persuadé de savoir quelque chose, on abandonne une posture de recherche et on ne voit plus du monde que ce que l’on croit.
Je pense que c’est la reconnaissance de notre ignorance qui nous permet de prospérer dans la quête du savoir et de combattre ainsi la « vraie » ignorance. La maxime de Socrate « Eν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα », qui traduit du grec signifie « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien » est comme une loi interne pour moi et je me la répète très souvent pour combattre cet ego qui grandit peu à peu et veut s’affirmer quand je m’y attends le moins…
Lors de mon « voyage initiatique » en Asie j’ai pu suivre une formation en bouddhisme en même temps que je faisais du bénévolat dans un temple à Yangoon en Birmanie. Un jour, lors d’un des cours j’ai compris que quelque chose prenait du sens pour moi.
Je me rappelle que la moniale qui menait le cours m’a demandé mon prénom et j’ai répondu que je m’appelais Rita. Elle m’a demandé par la suite comment j’étais quand j’avais 4 ans et j’ai fait la description de mon physique à cet âge du mieux que j’ai pu. Elle m’a alors questionné sur mon mental et mes aspirations de l’époque et j’ai à nouveau répondu du mieux que j’ai pu. Après avoir écouté attentivement ma réponse elle m’a posé une question vitale:
« Qu’y a t-il de semblable entre la Rita de 4 ans et la Rita d’aujourd’hui? »
Je n’avais pas de réponse à cette question. En effet, mes aspirations, envies et pensées n’étaient plus les mêmes, la taille de mes bras n’était plus la même, mon visage avait changé, mes cheveux avaient changé, chaque cellule de mon corps avait changé… Chaque jour notre corps élimine et renouvelle 300 milliards de cellules… Alors qu’y a t-il de semblable entre ces deux Rita?
Comme je ne pouvais pas répondre « rien », je n’ai pas répondu, et la moniale a poursuivi avec son enseignement. Elle a expliqué qu’on s’attache à ce nom qui nous a été donné, comme s’il s’agissait d’une marque, d’un label, mais que nous ne sommes pas cette marque ou ce label, mais beaucoup plus que ça. Nous ne sommes pas notre nom ou notre prénom, ni notre travail, nous ne sommes pas notre famille, nos connaissances, nous ne sommes pas nos désirs ni notre ego.
Quel est le rôle de notre ego dans les nouveaux apprentissages?
C’est lui, ce fameux ego qui nous fait nous attacher, qui dit « je suis », « j’ai fait », « j’ai »… « je suis Rita », « j’ai fait des études de ci et de ça », « j’ai les connaissances, j’ai une maison, etc… »… C’est lui qui nous fait nous attacher et c’est cet attachement qui est la cause de toute souffrance selon le bouddhisme… Et pourtant nous avons besoin de lui, d’une identité, d’une identification pour vivre en société, telle est la schizophrénie de l’être humain. Alors comment faire?
Pour ma part je reconnais cet ego en moi et je le remercie de me permettre d’avoir le sentiment d’individualité, si indispensable dans la vie en société. Cependant je fais de mon mieux pour ne pas m’identifier à lui et pour ne pas le laisser gouverner mon esprit et ainsi devenir son esclave.
C’est ce mécanisme de compréhension de l’ego qui m’a permis de laisser de côté temporairement mes « connaissances » pour pouvoir en appréhender des nouvelles, notamment l’ayurvéda. En effet, pour moi la reconnaissance de notre ignorance est l’attitude nécessaire à adopter face à la quête du savoir.
Cependant une fois qu’on a acquis une nouvelle connaissance et qu’elle est bien ancrée on peut facilement revenir à notre savoir intérieur pour faire des liaisons, des ponts ou des adaptations.
Je vous en donne par la suite quelques exemples:
Comment articuler la naturopathie et l’ayurvéda? Et avec tout le reste?
La compréhension de l’origine de l’univers selon la philosophie samkhya, qui précède les enseignements en yoga en en ayurvéda n’est vraiment pas évidente à comprendre quand on a été éduqués dans les principes de morale judéo-chrétienne. Il s’agit, historiquement, de la première description connue du modèle complet de l’univers, à la fois scientifique et transcendant. Samkhya considère l’univers comme se composant de deux réalités éternelles en opposition ou présentant une dualité : le principe de l’intelligence ou masculin (purusha) et le principe de la nature ou féminin (prakitri). Un troisième principe qu’on peut regarder comme neutre est celui de l’espace (âkâsha). Plus les explications de samkhya se développent plus c’est « difficile » à suivre vu que la plupart des images et allégories faites ne font aucune allusion à ce qui est habituel en Occident. Cependant une fois acquis ce nouveau savoir on peut faire des ponts avec ce que nous connaissons.
Selon le christianisme Dieu est omniprésent, à l’intérieur et à l’extérieur de nous. Selon Samkhya nous faisons tous partie de l’union de purusha et prakriti, nous sommes tous reliés les uns aux autres, ainsi qu’à l’univers tout entier . Mais finalement ne s’agirait-il pas de la même information dite d’une autre façon?
L’ayurvéda nous apprend que notre organisme est majoritairement constitué d’akasha, (d’espace), même si à nos yeux il se présente comme une masse très concrète. A l’intérieur de cet espace toute l’information de l’univers est continue sous forme de possibilités. Les découvertes scientifiques du XIX° siècle nous font connaître la structure d’un atome qui correspond à un noyau autour duquel se distribuent les électrons qui forment un nuage 10 000 à 100 000 fois plus étendu que le noyau lui-même. En sachant que tout est constitué d’atomes et que chaque atome correspond à 1% de matière et 99% d’espace, la science ne dit-elle pas la même chose que ce que l’ayurvéda affirmait il y a 5000 ans ?
En naturopathie nous étudions un certain nombre de plantes qui ont des propriétés thérapeutiques comme par exemple des propriétés anti-inflammatoires ou anti-infectieuses. Ceci a été pour moi très facile à comprendre étant donné que quand j’exerçais le métier d’infirmière j’utilisais le même type de nomenclature. Cependant quand je me suis plongée dans l’ayurvéda mes professeurs ont dû me dire plusieurs fois « arrête de penser en anti-inflammatoire, tout ce qui existe est vata, pitta et kapha ». En effet, il m’a fallu du temps pour comprendre que l’univers est constitué de vata, pitta, kapha, nous sommes constitués de vata, pitta et kapha et nos déséquilibres correspondent à vata, pitta et kapha et rien d’autre. Ce n’était vraiment pas évident pour moi de faire ce saut, mais une fois que je l’ai fait et que ces connaissances ont été bien ancrées j’ai pu faire un parallèle : une inflammation locale correspond à un excès de pitta (feu+eau), donc pour la soulager il faut naturellement diminuer pitta avec des règles d’hygiène de vie et éventuellement des compléments alimentaires. Et une fois qu’on a compris ça, il est beaucoup plus évident de conseiller une plante anti-inflammatoire par exemple…
Etant donné que l’ayurvéda date de 5000 ans il y a aussi des adaptations à faire aux besoins actuels car les sols n’ont jamais été si appauvris qu’aujourd’hui ce qui veut dire que la qualité de nos aliments n’est plus du tout la même. Il y a ainsi de nombreux autres ajustements à effectuer… Cependant si on garde une posture humble de recherche du savoir on trouvera toujours la solution la plus adaptée à chacun.
Un bon exemple de « contradiction » ou complémentarité entre la naturopathie et l’ayurvéda est l’usage des produits laitiers qui est déconseillé par les uns et recommandé par les autres… Si vous voulez en savoir plus lisez mon article « Le ghee et la santé ».
La quête du savoir ne suppose pas une accumulation de certitudes mais une ouverture d’esprit ! Avoir pour seule connaissance le fait que l’on est ignorant est, pour moi, le seul moyen de rester en quête du savoir. C’est ainsi que je continue d’apprendre à concilier la naturopathie et l’ayurvéda.
Merci de m’avoir lue,
Rita Oosterbeek